Odnośniki
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mants, et les vipères se frottaient au schiste des parois pour se défaire de leur peau hivernale. Leurs écailles duveteuses pla- naient dans l air telles des flocons de neige, et toute la grotte avait l apparence d une irréalité songeuse. Une pensée traversa l esprit de la jeune fille à l écoute du son lointain : ce n était pas par hasard qu on l avait surnommé le Mangeur de réalité. Puis, subitement, le son s amplifia. Transie de peur, Eurydice ne put pas ne pas le reconnaître. L invisible musicien avait certainement dépassé la croisée des galeries, descendant la pente qui l amènerait au bout de quel- ques virages sur la rive du Styx. Les habitants du sous-sol se figèrent et un silence de glace s installa dans la grotte. Le visiteur insouciant continuait à chanter d une voix sublime, mû à chaque bond sur la pente par la joie du séducteur. Tous les yeux se tournèrent vers Eurydice. Elle vacillait au bord du fleuve, le regard rivé sur la sortie, où le chanteur devait apparaître dans quelques instants. Bien qu elle sût depuis tou- jours que cela allait se produire un jour, son effroi n en était pas diminué pour autant. Elle était atterrée, comme si une main impitoyable la poussait vers l échafaud. Madame Perséphone parut alors sur l escalier de son pa- lais : sur son visage on lisait la stupéfaction et le courroux, mais 187 aussi une sorte d attendrissement. Elle écouta attentivement le couplet suivant, puis se tourna vers Eurydice et haussa les épau- les comme pour dire : voilà, mon enfant, l heure a sonné. Pendant ce temps, le visiteur avait parcouru une bonne moitié de la distance qui le séparait de la grotte principale, et son chant était de plus en plus perceptible, suivi des plaintes de son instrument, planant dans les galeries telles de sombres hi- rondelles porteuses d orage. Tout effort pour dépeindre la beau- té de son chant serait vain : enfant déjà, avec une simple flûte de jonc, il faisait s arracher les racines aux jeunes saules qui le sui- vaient sur les rives de la Marne comme des chiens. C est pourquoi nous nous abstiendrons de décrire le chant d Orphée. Nous comprenons parfaitement la stupeur des habi- tants souterrains, tout comme celle de la Dame, qui en a pour- tant vu bien d autres en matière de miracles. Alors le jeune magicien déboucha dans la grotte. Il portait une fourrure grise de coupe ancienne, que l on voyait rarement aux riverains de Nogent-sur-Marne, et tenait dans ses bras une lyre qui bourdonnait encore, bien que ses mains fussent loin des cordes. Cet écho d orage persistait encore lorsque le virtuose s agenouilla devant madame Perséphone et agita sous son nez un bicorne surmonté d une plume de coq. Cet ornement ondulant effleura le double menton de la souveraine, ce qui aurait dû la mettre en colère, mais elle éternua comme si de rien n était et fit signe au godelureau de se relever. À un plissement de paupière de la Dame, Eurydice se plaça derrière le musicien et posa la main sur son épaule, à la façon des malvoyants qui empoignent ainsi leur guide. La traiter d aveugle, en la circonstance, n est pas exagéré, car son cSur était si plein de détresse que le plus petit souffle de 188 vent eût suffi à l abattre. Elle se trouvait soudain en proie à des sentiments douloureux et contradictoires, l amour, la peur, la haine, le désir et, surtout, la certitude qu il n y avait plus d espoir, que sa destinée affreuse s accomplirait inéluctable- ment. Sur un signe de la Dame, elle murmura, la gorge nouée : « Veux-tu me faire sortir d ici ? » Bien que depuis son enfance elle eût étudié tous les détails de la Légende, bien qu elle eût répété ces paroles durant des années sous l étroite surveillance de la Dame, elles résonnaient à présent comme un mensonge, comme une machination du destin, comme la supplication qu on ne lui ôte pas les délices des Enfers. « Dieu miséricordieux ! s exclama le jeune homme et il éclata de rire, levant vers la voûte ses petits yeux enfoncés aux pupilles incolores. Tu connais la condition ? » marmonna Eurydice, le re- gard fixé aux cernes noirs de la Dame, en train de ravaler ses sanglots. L étourdi joueur de lyre s esclaffa une fois de plus et, par bravade, pinça ses cordes à l aveuglette. Aussitôt la grotte en- tière se mit à résonner comme si le souffle d un vent impétueux s y engouffrait. Sans cesser de ricaner, le jeune homme se diri- gea vers la galerie qui les conduirait au monde supérieur. Eury- dice ne put tourner la tête qu une fois vers l éclat noir du Styx, vers une madame Perséphone éplorée et ses camarades navrés, vers la féerie qu elle perdait à jamais. Puis ils s engagèrent dans les ténèbres, et le paradis des Enfers disparut. 189 Ils marchaient à pas comptés le long de la pente sinueuse qui les menait aux galeries supérieures. Au début, le chemin fut éclairé par des cristaux gelés, puis le boyau se rétrécit brusque- ment, s obscurcit, et ils n avancèrent plus que grâce à de rares feux follets jaillissant de champignons putréfiés. À chaque pas, la peur de la jeune fille grandissait, due à l odeur âcre et violente qui montait de dessous la queue d Orphée. Sa lyre continuait à
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